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Pourquoi meurent-elles en voulant donner la vie ?

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La foule, autour de la tombe a grossi devant moi. Peu à peu, la vie a repris son cours pour chacune  des personnes venues  assister à l’inhumation du défunt. Mais une seule personne, un homme précisément est resté comme tétanisé,  debout devant la tombe. Il semblait même ne pas se rendre compte qu’il était maintenant seul. Depuis la tombe de mes parents à Somè, dans la commune de Calavi, j’ai observé le spectacle sans pouvoir associer au désespoir de l’homme  resté debout devant la tombe, une histoire cohérente. La mort frappe tous les jours dans de nombreuses familles  mais dans son cas, tout semble lui avoir définitivement échappé. D’un pas déterminé, je me suis rendue près de lui et en posant ma main sur une de ses épaules, je suis arrivée à le sortir quelques instants de sa mélancolie avant que d’une voix à peine audible, il ne commence à me raconter son drame….

Joël venait de perdre sa femme bien aimée.  Berthe lui avait pourtant laissé un fils qui devrait faire sa joie. Mais non, le bel homme, d’environs 40 ans que j’avais devant moi était plutôt désespéré.  La situation était insoutenable pour lui. Tout s’est si vite passé, le temps que Joël se rende à Porto-Novo, pour se procurer le liquide vital, du sang et la mort est arrivée, pour le déposséder de son autre moi.

Les causes des décès maternels…

L’hémorragie, comme me l’a déjà précisé le professeur Justin Lewis DENAKPO, gynécologue obstétricien, est la première cause de mortalité maternelle au Bénin. Cette perte importante du liquide vital trouve généralement sa source dans la présence du fœtus dans le ventre de la femme pour dire qu’elle est directement liée à la grossesse. C’est une complication qui  peut survenir à n’importe quel moment de la grossesse, au premier trimestre, au second trimestre, au troisième trimestre, pendant ou après l’accouchement, lors de la délivrance. Et comme, trouver le produit sanguin dans nos banques de sang relève très souvent d’un grand défi, 33,9% de femmes africaines vont perdre leur vie, alors même qu’elles voulaient donner vie.

Vient ensuite l’autre bourreau des femmes enceintes. IL s’agit de cette vilaine pathologie que le professeur Lewis DENAKPO a appelé éclampsie. Selon lui, l’éclampsie représente 9,1% des causes de décès des femmes dans l’espace CEDEAO. C’est précisément la troisième raison évoquée pour justifier les morts maternelles mais elle tend aujourd’hui à  être classée au deuxième rang après les hémorragies. L’éclampsie se traduit par  une crise convulsive qui fait suite à une hypertension artérielle chez la femme enceinte. Lorsque les convulsions surviennent, elles mettent en danger la vie de la femme et celle du bébé. Cependant  chez  la mère, la situation est d’autant plus préoccupante que la présence du bébé dans son ventre aggrave son état. Une urgence à laquelle répondent les médecins en pratiquant la césarienne. Plusieurs femmes vont en l’absence de ces soins obstétricaux, perdre leur vie quelques heures après l’accouchement. D’autres par contre auront la vie sauve en perdant leur bébé et parfois aussi bien le bébé que la mère trépassent. Toute une catastrophe pour la femme, la famille, le personnel de santé et la communauté.

Les infections sont aussi mis à l’index pour justifier l’injustifiable. 9,7% des femmes en Afrique subsaharienne seraient encore en vie si l’on avait pu contrôler ces infections au nombre desquelles on cite le paludisme. En l’absence d’un bon suivi médical, le  VIH/ SIDA qui n’est même pas comptabilisé dans ces infections  tue environ 6,2% de femmes en couche…

Comment consoler ?

Il  m’était difficile de consoler Joël qui venait de perdre sa femme au détour d’un accouchement. La naissance de leur fils aîné au lieu d’être pour lui, une grande source de bonheur venait de le plonger dans une profonde tristesse que seul le temps pourrait effacer. Berthe n’est  cependant pas la seule à connaître un sort aussi cruel. Environ 4 femmes meurent chaque jour  au Bénin, en voulant donner la vie. C’est humainement inacceptable.

Partenariat pour corriger les trois retards…

Pour arrêter cette hécatombe maternelle, il faut pouvoir réduire ce que la communauté internationale a identifié comme les trois retards.

Le premier retard a rapport avec la prise de décision au niveau familial. Dans le secret de leur case, plusieurs femmes africaines ont perdu la vie parce que leur mari  ou l’entourage n’a pas vite pris la bonne décision : celle de les conduire dans un hôpital pour bénéficier d’un accouchement médicalement assisté. Et même lorsque la décision est vite prise, la longueur des trajets  mais aussi la défectuosité des routes ont bien souvent eu raison du souffle de ces femmes. Il s’agit là du deuxième retard lié à l’accessibilité géographique des centres de santé. Les formations sanitaires quant à elles manquent toujours de quelque chose lorsque la femme finit par s’y présenter. Tensiomètre, coton, seringue et autres consommables manquent. De toutes les façons, le plateau technique est souvent dérisoire dans les établissements hospitaliers de zones pour des soins de qualité. Le troisième retard  est ainsi en rapport avec le personnel sanitaire également, mal motivé. Ce retard, en termes d’accès aux soins tue de nombreuses femmes dans les milieux ruraux.

Notre responsabilité à tous…

Qui est en réalité responsable du malheur de Joël? Quelques fanatiques pourraient parler du destin… Mais pourquoi le destin s’acharnerait-il sur des femmes qui veulent pérenniser l’espèce humaine ? Ces décès de femmes en couche sont de notre responsabilité à tous. Ces femmes décèdent à cause de notre négligence à nous tous. C’est d’un leadership  de toute la communauté, dont nous avons besoin pour arriver à bout de la grande mortalité maternelle et infantile que connaissent nos différents pays en développement.

En attendant, ce réveil auquel, j’appelle toute la communauté, Joël qui continue de couler les larmes devra accepter courageusement le décès de sa femme. Un enfant sorcier  ou le cadeau d’une épouse à son mari ? Quelle que soit la réponse, Joël a désormais le devoir de s’occuper de leur fils.

« Et voilà le nouveau défi que  vous allez devoir relever pour que repose en paix l’âme de votre bien aimée Berthe. Vous devez  prendre soins de ce garçon qui  n’a désormais qu’un parent, vous ! »

Je pouvais comprendre ses larmes qu’il laissait couler comme l’aurait fait un petit garçon. Il voulait me répondre mais les sanglots avaient presque éteint sa voix. Sa réponse à peine audible : « Sans Berthe à mes côtés ?», a failli entamer ma lucidité et ma détermination à le soutenir. Je suis partie sans me retourner de peur de couler aussi des larmes devant lui.

Lorsque  tous, nous comprendrons que la vie des femmes et celles des hommes sont interdépendantes, chaque femme et chaque enfant aura une chance de survivre.

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