Droit des femmes : quand la précarité et le viol se croisent
Aïcha est un bébé de six mois, mais elle donne l’impression d’en avoir moins. Le pire c’est que cette fille toussait à rompre la poitrine malgré son corps-menu. Le vacarme provoqué par sa toux a empêché mes collègues et moi de travailler. Le spectacle qu’elle nous offrait avec sa mère ce vendredi était insoutenable.
Tout a commencé avec l’odeur de pipi qui a envahi la rédaction web lorsqu’elle est apparue! Presque nue dans les bras de sa mère qui l’avait recouverte d’un pagne usé et troué, Aicha est née d’un viol en milieu professionnel. A l’époque des faits, maman Aicha avait dénoncé son bourreau. Briser le silence n’a cependant pas suffit pour la sortir d’affaire. Bien au contraire, les préjugés et la fronde sociale ont précipité Aicha et sa mère dans le chao.
L’abîme du viol de maman Aicha
Maman Aicha, raconte avoir été réceptionniste dans une entreprise de livraison à Cotonou au Bénin avant de perdre son emploi au détour d’une agression sexuelle. Elle était mariée au moment des faits. Mais quand l’affaire est devenue publique, son époux a été sommé par les siens de la répudier. Selon sa belle famille, elle aurait commis l’adultère. D’ailleurs, son patron n’a jamais avoué son forfait devant les tribunaux du pays arguant qu’ils en avaient l’habitude avant ce jour là. Après des nuits passées dans le garage d’un oncle lointain, la mère de Aicha a trouvé refuge finalement dans une Organisation Non gouvernementale. Cette dernière a clopin-clopant subvenu financièrement à ses besoins pendant la grossesse. A la naissance de Aicha, l’organisation s’est débarrassée d’eux.
La maladie de Aicha
Sans le sou, elle s’est résolue à aider en cuisine une dame qui tient une cantine à Akpakpa, un des quartiers de la ville métropole du Bénin. Avec Aicha, elle dormait les nuits à même le sol dans les locaux de la cantine . En venant me voir, maman Aicha espérait agir sur ma fibre maternelle pour avoir une aide de 30.000 FCFA. Aicha était malade et avait besoin de soins. Sans aucune autonomie financière, cette maman ne pouvait évidement pas oser prendre le chemin d’un hôpital. Et ce n’est pas tout. Dans ses calculs, Maman Aicha comptait démarrer un commerce de ‘’ akpan’’(yahourt obtenu par fermentation du maïs).
Qu’auriez-vous fait ?
Moi, je n’ai pas pu retenir mes larmes. Aicha suçait des seins complètement amaigris qui ne coulait plus du lait. Mes collègues quant à eux sont sortis un à un de la salle de rédaction avant la fin du récit de maman Aicha. Tellement l’histoire est pitoyable ! Faire des études de secrétariat, trouver finalement un boulot de réceptionniste et le perdre pour viol, être répudiée par mon mari avec une grossesse d’un auteur inconnu sous les bras ? »Moi , je me serais peut-être donnée la mort avant même d’accoucher ou carrément me rendre coupable d’un infanticide. » me suis-je dis intérieurement.
Autonomie financière des femmes, une solution à la violence ?
Investir dans les femmes qui constituent plus de la moitié de la population béninoise soit environ 54% est un début de solution. Une femme indépendante financièrement sait mieux se défendre face aux inégalités sociales. A vrai dire, des femmes indépendantes à sa place n’auraient même pas fait ébruiter l’histoire avant de recourir à l’avortement en clandestinité. D’autres auraient réclamé à corps et à cris le soutien de l’Institut national de la femme ou celui du Ministère des affaires sociales et de la Microfinance. D’autres encore n’auraient même pas contracté de mariage sans une autonomie financière. De plus, si l’on considère qu’il n’y a de richesses que d’Hommes, questionnons les chances de survie de Aicha et par ricochet des autres Aicha ? C’est clair que sans une aide substantielle immédiate, elle pourrait perdre la vie.
Aicha aurait été certainement dans de meilleures conditions si sa mère avait réussi à rentrer dans le système de micro-crédit mis en place par le gouvernement Béninois. Mais comment être enrôlée parmi les femmes violées si vous n’avez pas de voix ? L’autonomisation des femmes est une des réponse à la problématique des violences faites aux femmes. Mais attention, le micro-crédit sous nos cieux génère aussi des violences!
Finalement j’ai demandé de l’aide à mes collègues. Ma quête n’a pas été à la hauteur de la demande de maman Aicha. Cependant j’ai pu conduire Aicha à l’hôpital ce vendredi là et payer ses soins. Dès que j’ai eu mon salaire les jours suivants , elles ont pu avoir une part de 30.000 FCFA. Aujourd’hui, ce n’est encore totalement la joie, mais Aicha grandit bien.